Pourquoi la souveraineté numérique est-elle devenue un enjeu majeur pour nos sociétés et économies en France et en Europe ?
Que signifie “souveraineté numérique “, dans un contexte où la France a perdu le droit au secret de ses données, la maîtrise de la protection de la vie privée sur Internet, de la propriété intellectuelle et de la fiscalité, et par voie de conséquence, la maîtrise de son destin sur les réseaux informatiques et sur son économie numérique en général ?
Pourquoi l’Europe doit-elle aujourd’hui prendre ces questions avec le plus grand sérieux, et agir de façon urgente sur le plan du droit notamment, droit qui doit être directement applicable sur son sol, c’est-à-dire sur le territoire communautaire?
D’autres solutions sont-elles également envisageables, au delà du seul droit communautaire ?
Pierre Bellanger, dans son livre “La souveraineté numérique” nous livre une analyse détaillée et approfondie de ces questions, de leurs causes et conséquences directes sur notre modèle économique et social de demain, et propose quelques alternatives possibles.
Il fait état d’un grand nombre d’alertes et de mises en garde contre de prochaines atteintes possibles aux droits et libertés des citoyens européens, aux effets préjudiciables et graves pour nos sociétés si nos dirigeants français et européens n’agissent pas immédiatement et ne se dotent pas d’un cadre législatif protecteur des intérêts privés et publics de leur Etat, de leurs citoyens et entreprises, dans cette nouvelle ère de transition numérique.
Autant d’alertes qui doivent résonner dans l’esprit de chacun d’entre nous, si nous souhaitons prendre nous aussi la mesure de la prochaine crise qui s’annonce derrière la crise économique actuelle: en effet, l’automatisation croissante et le développement des réseaux numériques vont provoquer une substitution de notre système économique actuel par Internet et les services en réseau, et la suppression massive d’un grand nombre de postes et d’emplois, y compris des emplois qualifiés.
Dans ce contexte, les Etats Unis, pour qui la question est également sensible, ont fait de la mise en réseaux de leurs services et de la domination de ces réseaux, leurs priorités. Un moyen pour eux de ne pas perdre leur force commerciale, leur primauté économique et géostratégique, et leur domination militaire à l’échelle mondiale.
Comment se concrétise cette mise en réseaux de leurs services informatiques? Tels Google, Apple et Facebook qui sont les acteurs dominants de ce marché et en sont les meilleurs exemples aujourd’hui, un réseau de services et logiciels liés (moteur de recherche, messagerie électronique, agenda, géolocalisation, publicité, etc..), adossé à un système d’exploitation, à des infrastructures de réseaux et à des terminaux dédiés, capte et concentre l’ensemble de la valeur ajoutée produite dans cet écosystème, et la puissance de ce réseau est telle qu’elle permet de transférer et multiplier cette valeur de façon exponentielle.
Dorénavant, - et c’est ce qui est nouveau- , ce sont les applications logicielles (software), celles qui précisément créent et livrent des services aux utilisateurs et qui produisent l’essentiel de la valeur ajoutée, qui font le choix de leur propre système d’exploitation et des infrastructures (hadware), et non plus l’inverse. Dans cette chaîne de valeur, où la création de valeur s’est déplacée, seuls les plus grands acteurs du numérique qui ont su développer un vaste réseau de services intégrés et complémentaires, ont pu tirer leur épingle du jeu, et croître de façon extrèmement rapide jusqu’à acquérir une position quasi monopolistique sur le marché mondial.
Détentrices aujourd’hui de nos données personnelles et privées, et d’informations très précises portant sur notre identité, nos données bancaires, nos habitudes de consommation, nos préférences et usages quotidiens, etc…, ces multinationales de l’Internet “remplaceront” demain notre banquier, notre assureur, notre équipementier automobile, notre médecin, nos services administratifs, .. dans le sens où elles feront appel à ces professions au simple titre de sous-traitants interchangeables, et deviendront ainsi des acteurs incontournables, donc dominants sur ces marchés, grâce à leur pouvoir étendu de conservation et d’utilisation des données collectées par elles sur leurs clients, prospects et utilisateurs de services.
Presque tous les secteurs seront concernés: santé, éducation, services à la personne, banque et assurance, commerce et distribution, publicité et marketing,...
La défense des réseaux est devenue une priorité pour les Etats Unis, non seulement sur le plan civil mais aussi sur le plan militaire : en effet, leurs intérêts civils et militaires ont toujours été indissociables, et Internet constitue une extension du service de renseignements américain, car créé par et pour lui. C’est ainsi que, financés grâce à de vastes programmes d’investissements militaires américains, les start up numériques et réseaux sociaux aux Etats Unis n’ont aucune difficulté à se développer et à croître très rapidement, puisqu’ils servent en contrepartie les intérêts des services de renseignements américains par la captation massive de données.
Les Etats Unis déploient de plus de vingt ans un très grand complexe militaro-numérique, dont le pouvoir réside dans la puissance de ses réseaux informatiques, car ceux-là mêmes constituent des moyens de défense aux éventuelles attaques cybernétiques, des moyens d’attaques et de démantèlement des réseaux terroristes, ou encore des moyens d’affrontements avec les réseaux de certains pays jugés commercialement et/ ou militairement dangereux par eux.
Une des premières cibles de cette guerre des réseaux est aujourd’hui l’Europe, car elle pèse presque autant en terme de PNB que les Etats-Unis, et est moins résistante à la prépondérance américaine que certains grands Etats (notamment la Chine).
Pourquoi faut-il avancer rapidement sur ces questions et trouver des solutions alternatives aujourd’hui ?
La France et l’Europe n’ont aucune maîtrise aujourd’hui sur cette révolution en marche, à l’heure où Internet et ses services sont essentiellement contrôlés par les Américains.
Or, l’Europe est d’autant plus concernée par ces questions, qu’elle représente un des derniers remparts existants contre d’éventuels actes de violation des droits et libertés individuelles.
Elle doit donc établir un cadre législatif qui se fonde sur la liberté des utilisateurs et le respect de leurs droits, la protection du droit de la propriété des données informatiques personnelles, et qui établit des obligations fiscales, des obligations de localisation des données, des attributions de juridiction compétente européenne en matière de collecte et traitement des données personnelles des citoyens de l’UE, enfin des obligations de cryptage des échanges d’informations qui ont lieu sur son sol.
Elle doit d’autre part, financer des programmes de développement et de soutien à ce secteur en pleine croissance par des investissements publics de grande envergure, faute de quoi les entreprises numériques européennes ne parviendront pas se développer et à rester compétitives.
Enfin, Pierre Bellanger propose une solution de création d’un Internet ouvert à l’échelle européenne, fondé sur les libertés publiques, et qui serait basé sur un système d’exploitation souverain, pilotant l’ensemble des machines sur son territoire.
Autant de solutions qui permettraient à l’Europe de ne pas perdre sa souveraineté numérique et l’ensemble des bénéfices liés à cette transition majeure.
Par contre, si demain, l’Europe ne parvient pas à établir et à imposer sa souveraineté numérique sur son propre territoire, elle prend le risque, non seulement de faire perdre à ses citoyens leurs droits et libertés privées, mais également de perdre une grande partie de ses économies créatrices de richesses, d’emplois et de valeur ajoutée, et pire encore, de mettre en péril la démocratie de ses états membres.
Il est donc urgent de relever ces défis avec courage et détermination.